Elu·e : ce que se former veut dire

 La question de la formation des élu·es locaux renvoie aux principes de fonctionnement de la démocratie représentative. Si celle-ci suppose que toute personne puisse représenter ses concitoyens dans le respect des conditions d’éligibilité, on oublie bien souvent que c’est une activité très exigeante, qui requiert des compétences spécifiques et des formations adaptées.

Pourquoi les élu·es se forment-ils/elles ?

« Les élu·es ont besoin de se former ? Mais pourquoi ? » Cela résume les réactions habituelles lorsqu’on évoque la formation des élu·es. A l’inverse, rares sont ceux qui s’inquiètent de savoir si des élus peu ou pas formé·es seront en capacité de prendre des décisions avisées. La question est d’autant plus prégnante que le transfert progressif de nombreuses compétences étatiques aux collectivités locales dans le cadre des lois de décentralisation contribue à spécialiser le mandat local.

Quelles sont les compétences nécessaires aux élus ? Comment les acquièrent-ils ? Si ces questions se posent naturellement pour la plupart des métiers, ce n’est pas le cas pour le mandat électif, davantage considéré comme une fonction symbolique que comme une véritable activité professionnelle. La définition de ces compétences varie donc en fonction du rôle qu’endossent les élus, de l’arène dans laquelle ils évoluent et de la nature des personnes interrogées (citoyens, pairs, journalistes, etc.), comme en témoignent les nombreux procès en incompétence ou en professionnalisme dont ils/elles font l’objet.

La période de début du mandat est un bon révélateur des situations qui nécessitent de développer de nouvelles compétences, car elle cristallise les difficultés rencontrées par les nouveaux élus. Ces situations peuvent se regrouper en quatre catégories :

  • celles qui concernent la connaissance du nouvel environnement, de ses codes, de ses acteurs et de son vocabulaire
  • celles qui concernent l’intégration dans l’institution et les relations avec les autres élu·es, les services, les collaborateurs·trices
  • celles qui concernent l’augmentation de la charge de travail et les moyens d’y faire face
  • celles qui concernent la maîtrise des sujets suivis dans le cadre des commissions/délégations

Pour faire face à ces situations, les élus mobilisent des qualités humaines (disponibilité, patience, ténacité, écoute, etc.), des savoirs (champ d’intervention des collectivités, fonctionnement d’un budget, etc.), des savoir-faire techniques (management, organisation du travail, communication, etc.) et des savoir-faire politiques (négocier avec ses partenaires, obtenir des moyens, accéder à l’information, etc.). Lorsque le « stock » de ces savoirs, savoir-faire et savoirs-être développés dans le cadre de sa formation initiale, de ses activités professionnelles, militantes ou personnelles n’est pas suffisant, les élus pallient ce manque en mettant en oeuvre des stratégies d’apprentissage « ordinaires ». Parmi elles, l’auto-formation (sur internet par exemple) et la formation auprès de son entourage (pairs, collaborateurs, agents des services) tiennent une place particulièrement importante. Depuis 1992, la formation « formalisée », telle que prévue par la loi, fait aussi partie de ces stratégies, même si sa place demeure modeste[1].

La loi de 1992 pour la formation des élu·es locaux

Constatant d’une part les inégalités d’accès au mandat local et, d’autre part, sa spécialisation, le législateur a instauré un droit de formation pour l’ensemble des élus locaux avec la loi du 3 février 1992. Il semble un peu ambitieux d’imaginer, comme le fait le Sénat[2] que la formation des élus a posteriori puisse palier les inégalités d’accès au mandat électif, inégalités qui résultent de mécanismes de sélection sociale indépendants de la notion de compétences. En revanche, la formation constitue un levier pertinent pour réduire l’écart entre des élu·es aux parcours personnels et professionnels variés.

Quelles sont les compétences concernées par ce droit ? L’article L.2123-12 du CGCT dispose de manière assez vague que les élus locaux ont droit à une formation « adaptée à leurs fonctions ». L‘interprétation couramment admise établit une frontière entre les compétences mises en oeuvre pour les activités « dépolitisées », rattachées à l’exercice du mandat (compétences techniques), et celles utiles pour réussir en politique, rattachées à la personne (compétences politiques). Cette distinction est nettement plus difficile à établir lorsque l’on prend en compte la réalité des pratiques. Par exemple, gagner en aisance à l’orale est indispensable pour les élus, mais permet aussi de développer son charisme. Ainsi, il est difficile de cataloguer les compétences et une conception trop restrictive du champ d’application de la loi lui ferait perdre de son efficacité.

Pour une stratégie globale de formation des élu·es locaux

Il existe un réel enjeu démocratique à offrir aux élu·es, et aux citoyen·nes qui souhaitent le devenir, une information claire sur les exigences du mandat et sur les moyens de se former. L’élaboration d’un référentiel de compétences permettait à tous d’en connaître les attendus, de s’y préparer et d’élaborer une véritable stratégie de formation sur la durée du mandat. L’idée semble faire son chemin puisque les pouvoirs publics envisagent l’instauration d’un cycle de formation obligatoire pour les nouveaux élus des exécutifs locaux (dès lors, ne pas l’envisager pour les élu·es des organes délibérants reviendrait à minimiser leur rôle).

Enfin, la clarification d’un référentiel faciliterait la sortie du mandat, en donnant plus de reconnaissance et de visibilité aux compétences développées dans le cadre de cette activité, considérée à tort comme éloignée des « vrais » métiers. C’est l’une des conditions qui permettrait que le mandat local demeure un engagement attractif et valorisant.

Grégoire AUSSAVY, responsable de formation du Cédis



[1] On constate globalement une sous-utilisation des crédits consacrés à la formation des élus. Ainsi, 0,6% du montant des indemnités de fonction sont consacrées à la formation dans les communes, 1,4% dans les départements et 4,2 % dans les régions, loin du plafond légal de 20% (chiffres 2004-2008)

[2] « Le droit à la formation est une condition de la démocratisation de l’accès aux fonctions politiques. En effet, en compensant les inégalités de formation initiale, la formation permet de ne pas laisser aux « clercs » et aux savants professionnels des affaires publiques le monopole des mandats électifs »Sénat, Rapport d’information n°94, A. Lefèvre, Sénateur, 31 octobre 2012